Il y a les écrivains prolifiques qui, chaque année, donnent un roman, rendez-vous contractuel avec le lecteur de l'automne, et puis il y a les écrivains d'un livre, ceux qui passent toute une vie à remâcher et digérer en silence ce qu'ils ont au fond du ventre avant de s'ouvrir dans un jaillissement. Né dans l'Oural en 1954, mathématicien et homme de théâtre, l'Allemand Eugen Ruge en fait partie. Outre-Rhin, son roman a défrisé la moustache admirative de Günter Grass et remporté le Deutscher Buchpreis, équivalent de notre prix Goncourt. Trois ans de boulot, 423 pages de musique douce-amère, soixante années vues à travers le chas d'une smala d'intellectuels est-allemands qui s'étiolent et se fanent avec leurs idées, avant l'effondrement : de Mexico à Berlin en passant par Moscou, Eugen Ruge raconte cette saga, celle de sa propre famille, écartelée par l'Histoire mais broyée encore plus sûrement par les rides et l'usure.
Ruge prête sa plume à sept personnages. Chacun s'en empare le temps d'un chapitre avec une telle évidence que l'écrivain semble parfois disparaître. Chaque détail compte, et on écoute ce récit à sept voix en se laissant porter par le cours non linéaire d'une narration qui remonte le temps, repart en avant, en arrière, de 1952 à 2001 en passant par 1989. Ce chassé-croisé entre les époques, les lieux et les regards dessine un récit qui dépasse la simple anecdote personnelle. Il y a de la mathématique dans la construction, une rigueur chaude dans le style et peut-être aussi, dans l'émotion, l'humour désespéré du légiste penché sur sa propre existence. Plus qu'une énième histoire d'Ostalgie écrite par un Allemand de l'Est à l'automne de sa vie, Eugen Ruge signe un livre universel sur le temps qui s'enfuit. Des éclairs littéraires qui illuminent, au couchant, cette boutade mélancolique du biologiste Jean Rostand : « Ce n'est pas le temps qui passe. C'est nous. »
Le 10/11/2012 - Mise à jour le 05/11/2012 à 17h51 Nicolas Delesalle - Telerama n° 3278
En savoir plus sur http://www.telerama.fr/livres/quand-la-lumiere-decline,89032.php#CtOwqOjC6ieMRC3v.99
Description:
Quand la lumière décline
Eugen Ruge
CRITIQUE
ROMAN
Il y a les écrivains prolifiques qui, chaque année, donnent un roman, rendez-vous contractuel avec le lecteur de l'automne, et puis il y a les écrivains d'un livre, ceux qui passent toute une vie à remâcher et digérer en silence ce qu'ils ont au fond du ventre avant de s'ouvrir dans un jaillissement. Né dans l'Oural en 1954, mathématicien et homme de théâtre, l'Allemand Eugen Ruge en fait partie. Outre-Rhin, son roman a défrisé la moustache admirative de Günter Grass et remporté le Deutscher Buchpreis, équivalent de notre prix Goncourt. Trois ans de boulot, 423 pages de musique douce-amère, soixante années vues à travers le chas d'une smala d'intellectuels est-allemands qui s'étiolent et se fanent avec leurs idées, avant l'effondrement : de Mexico à Berlin en passant par Moscou, Eugen Ruge raconte cette saga, celle de sa propre famille, écartelée par l'Histoire mais broyée encore plus sûrement par les rides et l'usure.
Ruge prête sa plume à sept personnages. Chacun s'en empare le temps d'un chapitre avec une telle évidence que l'écrivain semble parfois disparaître. Chaque détail compte, et on écoute ce récit à sept voix en se laissant porter par le cours non linéaire d'une narration qui remonte le temps, repart en avant, en arrière, de 1952 à 2001 en passant par 1989. Ce chassé-croisé entre les époques, les lieux et les regards dessine un récit qui dépasse la simple anecdote personnelle. Il y a de la mathématique dans la construction, une rigueur chaude dans le style et peut-être aussi, dans l'émotion, l'humour désespéré du légiste penché sur sa propre existence. Plus qu'une énième histoire d'Ostalgie écrite par un Allemand de l'Est à l'automne de sa vie, Eugen Ruge signe un livre universel sur le temps qui s'enfuit. Des éclairs littéraires qui illuminent, au couchant, cette boutade mélancolique du biologiste Jean Rostand : « Ce n'est pas le temps qui passe. C'est nous. »
Le 10/11/2012 - Mise à jour le 05/11/2012 à 17h51
Nicolas Delesalle - Telerama n° 3278
En savoir plus sur http://www.telerama.fr/livres/quand-la-lumiere-decline,89032.php#CtOwqOjC6ieMRC3v.99